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76) L'Empereur Alexandre au general, le due de Richelieu.
St-Petersbourg, le 18 septerabre 1811.
J'ai щи. votre aimable lettre, mou clier general, et je vous eu exprime
toute ma recoimaissance.
La description qu'on me fait du pays, ou Vous Vous trouvez de la maniere
dont vous radmiiiistrez, et des resultats etonnants que YOS soins out
produits, a augmente encore, s'il est possible, tous les regrets que j'epronve
des obstacles qui se sont opposes a mon voyage.
Les circonstances sont telles que je dois me trouver a mou poste,
pour etre a meme de diriger I'ensemble des mesures, chose qui n'est possible
que dans le lieu, ou toute radministration se trouve reunie.
Je vous assure que le temps n'est pas perdu et que le travail de
notre organisation militaire se pousse avec une grande perseverance. Nous
avons eu une armee de reserve de 80,000 homines, sans compter les
50,000 que forment les bataillons et escadrons de reserve. Nous allons en
avoir une de 130,000 et, avec les 50,000 cites, cela fera 180,000, tandis
que les premiers 80,000 vont entrer dans les rangs de Гагтёе
active.
Tout ce que vous me dites sur I'utilite de la paix avec la Porte est
bien vivement senti par moi. Si je pouvais la faire aux conditions dont
vous me parlez, je Гаигаіз conclue des aujourd'hui, mais jusqu'ici les Turcs
ne veulent entendre parler d'aucune cession quelconque, et je vous demande
mi pen s'il y a decence et possibility, dans le sMe ou nous vivons, de
nous en retourner derriere le Dniester? Cela n'est pas possible.
Si, indirectement, vous aviez le moyen de faire quelques insinuations
tendantes au but de conclure la paix, aux conditions contenues dans votre
lettre, cela serait un service essentiel que vous me rendriez. Toutefois,
communiquez-inoi vos idees a ce sujet.
II paratt que cet hiver se passera encore .tranquillement, mais le
printemps prochain pourrait fort bien etre I'epoque de I'explosion de cette
fatale guerre.
Si, entre temps, nous pouvions conclure notre paix avec la Turquie,
d^cemment, cela serait un grand point de gagne.
En attendant, je m'occupe des moyens a vous faire avoir le secours
demand^ pour les habitants de la Crimee, et je me fais moi-meme I'avocat
de cette affaire.
La maniere, dont vous me rassurez sur les precautions que vous pre
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nez pour voire course en Criraee, me calme un pen, car j'avoue, que, ce
voyage a clieval m'inquiete assez. Mais ,je compte sur votre prudeuce.
Persuadez-vous. qu'estime et amitie les plus vraies vous sont vouees
pour toujours. Tout a vous.
Alexandre.
Void une ancienne lettre que le due de Serra Cajfriola a mise a ma
disposition, pour que j'en fasse usage, quand je le jugerai a propos. Elle
est adressee au comte Ludolph, ministre de Sicile a Constantinople. Ce sont
des directions que le due lui donne, pour liater la conclusion de la paix
avec nous. Hchez de la faire passer a.sa destination. La reponse au due,
adressez-la a moi.
77) Le due de Richelieu a I'Empereur Alexandre.
Odessa 1811.
Sire.
J'aurais de la peine a vous exprimer a quel point j'ai ete touclie en
lisant la lettre que Yotre Majeste Imperiale a daigne m'ecrire. La confiauce et
la bonte que vous voulez bien me temoigner resteront a jamais gravees
dans inon cceur.
Quand done le genie du mal cessera-t-il {de latter dans noire triste
Europe, centre celui du bien! Peut-on penser de sang-froid a tout celui
que vous auriez fait a la Russie, si la colere de Dieu n'eut pas suscite
le perturbateur du monde dont rinfluence s'eteud. Ce que Votre Majeste
Imperiale dit sur la probabilite d'uue explosion prochaine et sur les mesures
de defense que vous preparez, est si plein de justice, qu'il ne reste plus
qu'a faire des voeux pour que le succes couronne vos efforts.
Permettez-moi, Sire^ d'etre aussi I'interprete de la reconnaissance publique
pour les bonnes dispositions, ou vous vous trouvez, par rapport a la
paix de Turquie. Les sacrifices que vous etes decide a faire devraient assurement
amener la paix, et apres tout ce qu'ou m'avait ecrit de Гагтёе,
je devais croire que les Turcs sentaient de leur cote la necessite de ceder
quelque chose. Des nouvelles que j'ai euesaCaffa, de Constantinople, disent
egalement.qu'on croit un rapprochement possible, en cedant quelque chose
de cliaque cote.. J'ai profite d'une occasion tres-sure pom1
envoyer au comte
Ludolph la lettre du due de Serra Capriola, et j'y en ai joint une de ma
part ou, sans entrer dans aucuu detail, je I'engage a me commimiquer ce
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qu'il pourrait apprendre des dispositions des Turcs pour la paix. Si Voire
Majest6 le jugeait a propos, il serait possible d'employer le ci-devant capitan-paclia
qui reside a Nicoiaiew. Je crois qu'il serait tres-propre a faire
connaitre a la Porte les intentions paciliques de Votre Majeste. Tant que
celle-ci a cru que nous insistions sur la cession des deux provinces., il
n'est pas extraordinaire que ne voulant pas negocier sur cette base,
elle
ait annonce ne vouloir rien ceder; mais il me semble que si elle etait informee
que nous ne voulons conserver qu'une partie de ce que nous avons
conquis, on pourrait esp6rer tin arrangement prompt. Votre Majeste voudrait-elle
me donner ses ordres, et me faire savoir si elle approuverait
que je misse en mouvement le capitan-pacha. Cost un homme d'un grand
sens, et qui voit bien I'etat de I'Europe tel qu'il est. Je joins ici, d'apres
vos ordres, ma reponse au due de Serra Capriola.
A mon retour d'Anapa, j'entreprends, d'apres rassentiraent de Votre
Majeste, une petite expedition centre le seul peuple circassien qui n'ait pas encore
fait la paix avec nous. Le but que je me propose, sans toutefois etre sur de
reussir, est de le forcer a la paix, e'est-a-dire a rester en repos, et donner
des otages. Alors toute notre ligne etant assuree, nous pourrions oter
au moins 8 bataillons, dout 6 d'excellents chasseurs, qui pourraient etre
utiles ailleurs. Les cosaques etant sufflsants pour s'opposer aux petites
voleries, qu'il est inutile d'esperer de voir finir. II serait desirable de parvenir
a faire garder toutes nos frontieres pas des cosaques on milices,
afm d'avoir toutes nos troupes disponibles sur, la seule frontiere importante,
celle de la Pologne. Avant de fmir cette lettre, dont je dois supplier
Votre Majeste d'excuser la longueur, permettez-moi de vous parler
d'une petite affaire qui me regarde personnellement. On aura peut-etre
deja dit a Votre Majeste le desir que j'avais d'aller faire cet hiver une
course a Vienne. II y a 5 ans que j'y ai place 4 mille ducats, malheiireusement
en florins, ce qui me ferait perdre les 4
|5 de cette somme, si je
n'avais pas affaire a quelqu'un de delicat. Je voffdrais retirer cet argent,
et m'arranger de maniere a perdre le moins possible. Quelque important
que soit d'apres cela ce voyage, dans ma situation, je le soumets епШгеment
a Votre Majeste, la suppliant de disposer de moi sans aucun menagement.
Si
vous croyez que mon absence puisse etre de quelque inconvenient,
je renoncerai sans aucun regret a ce voyage; ce serait un bien
petit sacrifice aupres de ceux que je serai toujours dispose a faire a
Votre Majeste.
Je n'ai pas besoin de vous renouveler, Sire, rhommage de mon pro
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fond devouement; les bontes dont vous ne cessez de me corabler, vous dounent
chaque jour de nouveaux droits a ma reconnaissance; mais rien ne
pent accroitre le sentiment du tendre attachement que je vous ai оиб depuis
que j'ai cu le bonheur de vous connaitre. Daignez I'agreer, Sire,
ainsi que le proibnd respect avec lequel j'ai Гіюппеиг d'etre de Votre
Majeste Imperiale
78) Le due de Richelieu a I'Empereur Alexandre.
Novembre 1811,
Malgre la crainte que j'ai d'importuner Voire Majeste Imperiale par
mes frequentes lettres, j'espere qu'EUe voudra bien me pardonner de lui
dire deux mots du depart de Madame N. apres un voyage de pres de deux
mois dans ces contrees.
Notre course a Anapa s'est tres-bien passee; nous avons vu force
Circassiens qui, depuis la paix faite avec les nations des environs, viennent
y faire le commerce; ils ont ete un pen etonnes de voir d'aussi belles
dames se promener paisiblement au milieu d'eux.
Je voudrais bien que I'expedition que je vais faire, de I'autre cote du
Kouban, amenat un etat de choses tel que celui-la, dans la partie de la
fronMre qui n'est pas encore tranquille. Si, d'apres la lettre, que j'ai eu
I'lionneur d'adresser dernierement a Votre Majest6, Elle avait quelques ordres
particuUers a me donuer, peut-etre trouverait-Elle a propos de les envoyer
d'abord a Madame de N. qui, de I'endroit ou elle recevrait Testafette, me
I'expcdierait plus loin.
D'apres les 6v6nements, je ne crois pas que le moment soit favorable
pour negocier avec les Turcs. Le passage du Danube, et le sejour que le grand
vizir fait de ce c6t6 font que leurs pretentions doivent etre considerablement
enflees; mais si nos armes, ou les pluies de rautomne, les forgaient a repasser
le Danube, ce serait I'instant de saisir pour negocier, et tacber de
finir cette guerre. Aux embarras qu'elle cause a present on pent juger
des suites funestes qu'elle aurait, si nous 6tions dans le cas d'en soutenir
en meme temps une autre siu" la Vistule.
Je me flatte que Votre Majeste, рбпёігёе comme Elle est de la necessity
d'en finir avec les Turcs cet hiver, trouvera le moyen d'y parvenir;
vous n'aurez jamais fait, Sire, rien de plus important pour le bien
de vos peuples.
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DaigueZj Sire, me conserver quelque bonte, et permettre que je mette
a vos pieds Fhommage de I'inalterable devouemeut et du prdfond respect...
79) Le due de Richelieu a madame de Montcalm.
Ekatherinodar, siir le Kouban, le 24 octobre (5 novembre). 18.11.
II y a pres de deux mois que j'ai quitte Odessa, et j'ai voyage tout
ce temps avec une societe charniante, composee de Madame Narisckin, la
plus jolie femme de Petersbourg, et trois autres aimables jeimes persoimcs
qui raccompagnaient. Nous nous sommes separes mercredi a Taman, ct
maintenant je vais faire 1111 voyage d'un autre genre, en plus nombreuse,
mais moins agreable compagnie. D'ici a' 3 on 4 jours, je passe le Kouban,
avec un corps de 8 mille liommes, pour taclier de reduire le seal peuple
circassien qui n'ait pas voulu se soumettre, apres rexpedition que j'ai faite
cet hiver, et la prise de la derniere forteresse que les Turcs eussent dans
ces contrees. Comme nous ne leur demandons rien, que de rester tranquilles,
il semblerait que la paix ne serait pas difficile a faire entre nous,
et cependant, plutot que de renoncer a leurs brigandages, ils aiinent mieux
s'exposer a etre ravages deux fois par an. J'espere que cette Ms pourtant
je les y deciderai, car je compte y mettre autaiit d'obstinatibn qli'eux.
Cette guerre peu dangereuse ne laisse pas d'etre fatigante, parce qu'il
faut toujours bivouaquer, et qu'on est prive de toutes les commodites quelconques.
Quand
cette expedition sera terminee, je vous ecrirai pour vous en
apprendre le succes. Je ne pense pas pouvoir retourncr a Odessa avant
six semaines; au total, je n'y aurai pas tout a fait ete deux inois cette
annee, et j'aurai fait plus de 2,500 lieues de cliemin.
Je mene la vie la plus vagabonde qu'on puisse imaginer, mais comme
e'est le seal moyen de faire quelque bien, dans rimmense et nouveau
pays qui m'est confle, je prends mon parti la-dessus. Vous avez bien raison,
ma chere amie, la seule consolation dans la position, oil je me trouve, est
de pouvoir faire quelque bien, .e'est aussi la seule a laquelle je premie
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